La toxicomanie est une maladie

Chapitre 7

La profession médicale reconnait dorénavent que la toxicomanie est un trouble de santé mentale à part entière. Toutefois, il est souvent accompagné d’autres troubles mentaux et est parfois causé par ceux-ci.

 

Ressources


À l’image de toutes les maladies mentales, des facteurs génétiques et sociaux peuvent se combiner à des facteurs physiques et psychologiques pour aggraver les effets de la toxicomanie. Selon le conseiller en toxicomanie Chris Curry, de nombreuses personnes aux prises avec des maladies mentales utilisent l’alcool ou les drogues comme forme d’auto-soin. Lui-même a été toxicomane et revendeur de drogue, après avoir abandonné ses études de journalisme à Ottawa. Aujourd’hui réhabilité, il apporte son aide à des toxicomanes qui ont des démêlés avec la justice.

Screen Shot 2021-07-14 at 10.09.53 AM.png

Le psychiatre David Goldbloom est une sommité en matière de dépendance et de maladie mentale au Canada. Il est diplômé d’Harvard, où il a étudié l'administration publique, d’Oxford, où il était boursier de la fondation Rhodes, et de McGill, où il a étudié en médecine et en psychiatrie. Il est conseiller médical principal au Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto et professeur de psychiatrie à l’Université de Toronto. Le Dr Goldbloom est également l’auteur de nombreux articles de recherche médicale et a dirigé la rédaction de deux manuels cliniques. Il est actuellement président du conseil d’administration de la Commission de la santé mentale du CanadaEn-Tête lui a demandé de commenter un extrait d’un article de presse paru en 2014 dans une petite ville canadienne.

Q : Dans un article récent, par ailleurs compatissant, portant sur les travailleuses du sexe victimes de viol, un journaliste écrivait : « Les travailleuses du sexe dans la rue sont perçues par plusieurs comme de simples toxicomanes, criminelles, menteuses et comme des femmes qui savent très bien dans quoi elles s’embarquent.» Manifestement, l’ajout du mot « simples » devant « toxicomanes » n’a pas dérangé le reviseur. Et la toxicomanie est mise dans la même catégorie que les trois autres situations qui présentent, du moins dans une certaine mesure, des éléments de choix. Comment cela cadre-t-il avec votre propre expérience auprès de personnes vivant avec des problèmes de dépendance?

R : Le libre arbitre joue clairement un rôle dans les troubles d’alcoolisme et de toxicomanie. Un verre est levé, une ligne est reniflée. Là où il y a libre arbitre, il y a toujours un certain jugement porté par autrui. Les personnes atteintes de psychose ne « choisissent » pas d’être psychotiques. Par contre, nous savons que des troubles comme l’alcoolisme sont fortement héréditaires, que les histoires familiales sont parsemées d’individus vulnérables à l’alcoolisme et que la prédisposition varie d’un individu à l’autre. Nous savons aussi que la compulsion à consommer des substances peut être puissante et se renforcer quand apparaissent les symptômes du sevrage et perpétuer le cycle.

Q : Les médecins et les neuroscientifiques affirment que la dépendance est liée à des transformations dans le cerveau. Pouvez-vous expliquer en termes simples comment s’opèrent ces transformations et quelles en sont les implications pour les traitements et le rétablissement?

R : Le cerveau est l’organe le plus complexe de notre corps. Quelqu’un a déjà dit : « Si le cerveau était assez simple pour que nous puissions le comprendre, nous serions trop simples pour le comprendre ». Les drogues et l’alcool agissent sur des récepteurs dans le cerveau, ce qui déclenche des changements dans la production des substances chimiques qui agissent sur ces récepteurs. Ces récepteurs forment le réseau de communication entre les centaines de milliards de neurones que compte le cerveau. Certaines drogues, comme la méthadone, peuvent changer la vie des personnes accoutumées aux opiacés. Les benzodiazépines peuvent protéger les personnes en sevrage d’alcool. Même si les gens ont des prédispositions génétiques aux troubles d’alcoolisme et de toxicomanie, il est important de se rappeler que la prédisposition génétique n’est pas synonyme de destin. Il y a des choses que les individus peuvent faire eux-mêmes, avec l’aide de leurs pairs et du soutien professionnel, pour réduire les méfaits de la consommation d’alcool et de drogues, parfois jusqu’à zéro. Le rétablissement est possible pour les personnes atteintes de troubles de dépendance à l’alcool et aux drogues, même si leur entourage est parfois pessimiste à cet égard.

IMG_0129.jpeg

Q : Pourquoi croyez-vous que la société a généralement du mal à considérer les problèmes de dépendance comme une maladie?

R : La dépendance est depuis des siècles un objet de désapprobation religieuse et morale et, à ce sujet, la neuroscience n’en est qu’à ses débuts. Là encore, la composante de libre arbitre liée aux comportements dépendants en limite la compréhension en tant que maladie. En outre, la capacité de certains individus à se rétablir par l’action du libre arbitre ou l’appui du milieu fait en sorte qu’il est d’autant plus difficile de considérer la dépendance comme une maladie. Cela dit, je suis tenté de faire une analogie avec l’hypertension. Certaines personnes contrôlent leur pression par la méditation ou en perdant du poids; d’autres ont besoin de médicaments ou même de subir une intervention chirurgicale.

Q : L’article que nous avons évoqué plus tôt a été écrit par un journaliste généraliste, et non par un spécialiste des questions de santé. La stigmatisation qui y retrouve est une sorte de dommage collatéral. Que pourriez-vous dire aux journalistes pour les aider à éviter ce genre de pièges?

R : Lorsqu’il est question de maladie mentale ou de troubles de dépendance à l’alcool et aux drogues, nous connaissons tous au moins une personne qui a été personnellement affectée. Prenez un instant pour penser à cette personne en particulier et considérer comment une remarque désinvolte de ce genre pourrait la blesser ou la démoraliser.

Cette conversation a été remaniée et condensée.