REPORTAGE EN PROFONDEUR 1

La notion d’intérêt public supérieur devrait toujours faire partie intégrante des reportages portant sur le suicide. L’ajout de cet élément clé peut en effet permettre de contrebalancer toute recommandation qui aurait pour effet d’entraver la réalisation du reportage. Toutefois, rejeter d’un bloc toute recommandation n’est pas non plus une option éthique.

La question qui se pose est plutôt la suivante: comment tenir compte des inquiétudes sur lesquelles se basent ces recommandations, sans pour autant contrecarrer la production du reportage, et se priver des bénéfices qui pourraient en découler? La réponse risque de varier selon les circonstances, le but poursuivi par le reportage et la mesure dans laquelle il sort des sentiers battus. Évidemment, un reportage qui porte sur une situation maintes fois exposée peut tout de même avoir des impacts positifs, mais un reportage qui élargit les horizons, ou qui propose de nouvelles perspectives ou façons de voir, peut bénéficier de davantage de latitude.Lorsque vous cherchez la façon la plus responsable de traiter d’un sujet délicat, n’hésitez pas à consulter des collègues qui ont pu être confrontés aux mêmes problèmes que vous, et voyez comment leur expérience peut s’appliquer à votre cas.
Renata D’Aliesio, aujourd’hui rédactrice en chef adjointe au Globe and Mail, était la journaliste en charge de l’impressionnante série «The Unremembered», portant sur le suicide au sein des vétérans canadiens de la guerre en Afghanistan. Elle a participé à une table ronde organisée dans le cadre du Congrès national annuel de l’Association canadienne en prévention du suicide (ACPS) en 2019. Elle décrit la démarche par laquelle elle a développé, avec son équipe, ses propres lignes directrices pour cette série.

REPORTAGES PORTANT SUR DES GROUPES À RISQUES 

 

The Unremembered, qui a remporté de nombreux prix prestigieux et mené à des changements politiques importants est un exemple de reportage en profondeur, s’intéressant à un groupe de personnes à risque de suicide, de par leur bagage commun. Les premiers répondants, certaines personnes autochtones, les travailleurs œuvrant dans des milieux éloignés ou dangereux, ou encore les propriétaires d’armes à feu sont autant d’autres exemples de groupes à risques. Peu importe le groupe à risque auquel vous vous intéressez, la démarche utilisée par l’équipe du Globe and Mail est un excellent point de départ.

Ce genre de reportage naît souvent de l’observation d’un journaliste ou documentariste attentif qui, voyant un problème se déployer sous ses yeux, se demande: «À quelles conséquences tout cela va-t-il mener?» C’est en effet ainsi que tout a commencé pour la série The Unremembered, comme l’expliquait Renata D’Aliesio à conférence de l’ACPS.

Omar Mouallem est un journaliste et documentariste indépendant basé à Edmonton. Il a passé 5 ans à s’intéresser aux problèmes de santé mentale et au suicide chez les travailleurs des champs de pétrole de l’Alerta, durement affectés par le ralentissement dans leur industrie. Compte tenu de l’allure souvent «macho» de ces travailleurs, il s’attendait à faire face à des obstacles considérables en les approchant. La réalité, a-t-il constaté, s’est avérée bien différente.

Bien que d’excellents reportages aient déjà fait la lumière sur certains groupes à risques de suicide, il y a encore beaucoup de travail à faire. Particulièrement auprès de groupes démographiques à risques, qui ne sont pas définis par leur travail ou leur culture. Le suicide demeure plus répandu chez les hommes d’âge moyen et chez les aînés, ainsi que chez les célibataires, les divorcés ou les veufs. Au Canada, les hommes sont, en général, trois fois plus susceptibles de mettre fin à leurs jours que les femmes. 

Il est certainement plus complexe de s’attaquer à un enchevêtrement de causes que d’analyser la situation d’un groupe ayant un bagage commun. Mais lorsque ce travail est fait de façon éthique et responsable, le public ne peut qu’en bénéficier.

Comme nous l’explorons dans le guide En-Tête, le risque de contagion suicidaire est un enjeu réel, dont doivent tenir compte les journalistes. Mais il ne devrait pas l’emporter sur toutes les autres préoccupations journalistiques ou provenant de spécialistes en prévention du suicide. Par contre, le travail journalistique portant sur des groupes à risques de suicide et partageant un bagage commun requiert davantage de réflexion quant aux risques de contagion suicidaire que les autres reportages portant sur le suicide en général.

Si vous ressentez de la détresse, communiquez avec le centre d’aide le plus près de chez vous. En cas d’urgence, appelez le 911, ou rendez-vous à l’hopital de votre région.