REPORTAGE EN PROFONDEUR 2

QUESTIONS DE POLITIQUES

De plus en plus d’institutions et d’administrations au Canada tendent à devenir plus transparentes au sujet des suicides et de leurs politiques internes en la matière, principalement parce qu’elles se rendent compte que la culture du silence, qui était auparavant de mise, ne règle pas le problème. En 2019, la Commission de transport de Toronto (CTT), en charge du transport en commun dans la Ville Reine, est ainsi devenue la plus grande organisation à rompre avec cette omerta et à préconiser une plus grande ouverture face aux suicides. Mais elle n’est pas la seule organisation à le faire, d’autres sociétés de transports suivent la même voie, de même que des universités, comme nous le démontrons dans le chapitre FAIT DIVERS - Le suicide comme objet d’une nouvelle.

La journaliste Ioanna Roumeliotis de l'émission The National à CBC a obtenu un accès illimité aux délibérations et aux employés de la CTT alors que cette nouvelle politique de transparence par rapport aux suicides était mise en place. Peu de temps après la diffusion de son enquête sur le sujet, à l’automne 2019, elle a participé à la table ronde du congrès annuel de l’ACPS. Elle a expliqué comment elle a obtenu cet accès inédit, et comment les anciennes façons de faire en journalisme concernant les suicides doivent changer.

Vous pouvez visionner le reportage de Ioanna, réalisé par Melissa Mancini, et diffusé le 10 septembre 2019:

CBC News: The National – Breaking the Silence of Subway Suicide

À LA RECHERCHE DE DÉTERMINANTS

 

On sait depuis longtemps que de nombreux facteurs sociaux, des déterminants, peuvent contribuer à la dépression. Partant du principe qu’environ 60% des victimes de suicide avaient déjà souffert de dépression, on comprends rapidement que de répondre efficacement aux besoins sociaux, tel que l’accès à des logements abordables ou encore à des services de santé mentale, pourrait entraîner une diminution des taux de suicides.

Les journalistes qui mettent en lumières de possibles déterminants d’un suicide dans un reportage, doivent évidemment éviter de montrer le suicide comme étant «la seule porte de sortie» pour les personnes soumises aux même déterminants. Le fait de simplement démontrer, dans un reportage, comment ces déterminants constituent un problème n’est par ailleurs ni suffisant, ni éthique. Le journaliste doit construire un arc narratif responsable à son histoire, en démontrant comment la vie d’une personne peut être affectée par certains déterminants, mais en identifiant également qui, -décideur ou personne responsable, aurait pu agir pour diminuer l’impact négatif de ces déterminants. C’est une façon de faire utilisée pour n’importe quel type de reportage en profondeur, mais qui est d’autant plus importante lorsqu’il est question de suicide, et que des vies humaines sont en jeu.

Dans un rapport datant de 2017, l’Association des psychiatres du Canada suggère que plus de 40 suicides par an pourraient être évités si tous les journalistes adhéraient scrupuleusement à ses recommandations de bonne pratique. Voilà qui serait évidemment une bonne chose, mais comme le reconnaît également le rapport, ces 40 suicides évités ne représentent qu’environ 1% des suicides au Canada. Ces morts évitées ont leur importance, tout comme ont leur importance toutes les autres morts par suicide. C’est ce que doivent garder en tête les journalistes qui explorent les déterminants du suicide, tout en faisant le maximum pour éviter la contagion suicidaire.

Sachant tout cela, retourner aux anciennes façons de faire en journalisme au sujet de la couverture des suicides est totalement vain. Trouver et maintenir un équilibre dans un reportage portant sur le suicide est certainement difficile, et même les journalistes les plus responsables ne sont pas infaillibles, mais la réflexion et le jugement qui y est apporté ne peut que servir l’intérêt général.

Si vous ressentez de la détresse, communiquez avec le centre d’aide le plus près de chez vous. En cas d’urgence, appelez le 911, ou rendez-vous à l’hopital de votre région.